L'économie togolaise, comme la plupart des économies en voie de développement se caractérise par la capacité limitée de création d’emplois du secteur formel associé à une évolution négative de la productivité, une baisse de la rémunération du travail et une situation d’inefficacité du système éducatif. De telles caractéristiques macro-économiques expliquent en réaction, l’importance de l'économie informelle. Selon le FMI, ce terme englobe les entreprises familiales qui produisent une certaine valeur marchande sans être enregistrées et plus largement, la production souterraine résultant d'activités productives qui sont le fait d'entreprises enregistrées, mais peuvent ne pas être déclarées aux autorités en vue d'échapper à la réglementation ou à l'impôt, ou parce qu'elles sont simplement illégales. Quel est le poids réel de l'économie informelle dans les PIB africains ? Pourquoi peut-on considérer l’économie informelle comme un levier de croissance pour le continent africain ?
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Quelles sont les caractéristiques du secteur informelle en Afrique ?
L’économie informelle constitue un mode de vie (voire de survie) de la population urbaine, pour laquelle elle permet la satisfaction de besoins fondamentaux : se nourrir, se loger, se vêtir, se former, se soigner, se déplacer. Elle concerne différentes activités alimentaires, de services personnels, de réparation, récupération et recyclage. Le commerce et la distribution représentent la majeure partie de ces activités. Au niveau des principales villes de l’UEMOA (Cotonou, Ouagadougou, Abidjan, Bamako, Niamey, Dakar et Lomé), trois quarts des unités informelles comptent un seul employé et seules 7 % emploient plus de trois personnes, la taille moyenne d’une unité informelle entant de 1,5 personne. Le niveau d’éducation est généralement faible, avec une participation relativement élevée des femmes. Ce secteur contribue en revanche peu aux dépenses publiques locales liées à l’urbanisation (eau, électricité́, voierie...). De nombreuses activités de l’informel ne sont pas ou sont peu assujetties aux impôts et taxes ; la valorisation foncière est très peu taxée, tandis que les impôts locaux ne sont pas payés régulièrement. Il en résulte que les collectivités locales disposent de budgets qui ne reflètent en aucun cas le dynamisme économique des villes. Elles vendent des produits de faible qualité et n'exportent que très rarement.
Les échanges informels s’appuient aussi sur des réseaux marchands qui ont une activité transnationale et couvrent toute la sous-région. Les plateformes commerciales entre Lagos et Abidjan écoulent des biens manufactures en provenance de l’Europe, de l’Asie et du Moyen-Orient. La réexportation de produits manufactures touche une large gamme de produits tels que les tissus et fripes, cosmétiques, cigarettes, véhicules d’occasion. Ces échanges sont devenus « un facteur de régulation et d’une meilleure distribution des richesses dans la zone ».
Au Togo, les femmes dominaient auparavant le commerce intérieur et international des textiles, des imprimés en cire et des vêtements pour femmes, dirigeant des entreprises qui se sont étendues au Burkina Faso, au Mali, au Niger, au Tchad et à d'autres pays de la région. De 1976 à 1984, ces femmes « Nana Benz » - appelées ainsi parce que leur richesse leur permettait de posséder des voitures Mercedes-Benz - contrôlaient au moins 40% des activités du secteur informel au Togo. Bien qu'elles ne soient plus aussi dominantes, une troisième génération de femmes maintient en vie leur modèle entrepreneurial. Les Nana Benz ont démontré que les économies informelles pouvaient créer des voies de réussite pour leurs enfants et leurs communautés. Elles ont non seulement construit des hôtels particuliers au Togo et possédé des propriétés dans le monde entier, mais elles ont également investi dans l'éducation de leurs enfants au pays et à l'étranger. Malgré leur propre manque d'éducation formelle, elles ont su imposer le respect. Les partenaires commerciaux européens leur ont proposé des conditions favorables pour développer leurs activités.
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Qu’est- ce qui pousse les entrepreneurs africains vers l’informel ?
Le secteur informel domine l’économie de l’Afrique de l’Ouest et connaît une réelle expansion au détriment du secteur formel. Le développement du secteur informel est une conséquence direct de chocs économiques exogènes qu’ont subi les économies africaines : passage d’une économie planifiée à une économie de marché, dévaluation du franc CFA en 1994, crises économiques dans les pays occidentaux qui, par effet domino, impactent négativement les économies africaines. Ces facteurs ont développé un exode rural vers les métropoles, et donc gonflé le secteur informel. En outre, le climat des affaires, qui dépend directement de la politique conjoncturelle de l’État, explique aussi l’importance croissante de ce secteur. Un environnement des affaires négatif pousse l’entrepreneur à opter pour l’informel.
Les entreprises formelles sont soumises à une prolifération de prélèvements onéreux comprenant plusieurs types d’impôts divers frais. Les gouvernements n’appliquent néanmoins pas ces règles plutôt minimales, et permettent à certaines entreprises d’être soumises au régime du forfait sans aucune obligation de disposer d’états financiers fiables. Cet état de fait met en évidence les faibles capacités des États à mettre en application les règles qu’ils ont eux-mêmes édictées. La défaillance de l’État se manifeste aussi par la corruption, la lourdeur bureaucratique et un système généralisé de recherche de rentes. Elles remettent librement en cause les décisions des tribunaux qui ne leur sont pas favorables. A ce sujet, la presse rapporte souvent des scandales de corruption des tribunaux. Une chaine de complicités, qui implique les douanes, les services administratifs et les tribunaux, soutient les grands acteurs informels. La défaillance de l’État est également visible au niveau du recouvrement fiscal. Les autorités fiscales ciblent de manière disproportionnée les entreprises formelles. De plus, plusieurs dirigeants d’entreprises pensent que la « sous-déclaration » des revenus est omniprésente et n’est pas punie par le gouvernement.
Il convient de noter en particulier que les réseaux ethniques et religieux se substituent à l’État pour la fourniture de biens publics. Ces réseaux constituent une forme de « capital social » qui peut entrainer des effets positifs aussi bien que effets négatifs sur le développement économique. Le capital social en général, et les réseaux informels en particulier, peuvent entre exclusifs, intolérants ou même promouvoir un comportement antisocial et une violation des règles et normes de l’économie formelle. On l’observe clairement dans les pays d’Afrique de l’Ouest où les réseaux sociaux sont fortement impliqués dans des activités illégales, en particulier la contrebande et l’évasion fiscale. De façon générale, les réseaux ethniques et religieux sont particulièrement importants en Afrique de l’Ouest en raison de la combinaison d’une faiblesse des institutions formelles, de la perpétuation de réseaux de l’époque précoloniale et de la résistance au colonialisme.
En bref
L’économie informelle présente un grand potentiel de développement si elle est bien organisée et si l’on respecte la structure souple et autonomie qui la caractérise. Elle résout momentanément certains problèmes sociaux nés des données démographiques, rurales et urbaines, des « produits » du système éducatif, de la pénurie d’emploi, des licenciements du « secteur organisé ». Pour poursuivre la transformation sociale et économique de l’Afrique, il est donc nécessaire de reconnaître l’économie informelle comme un levier clé du développement et un facilitateur de la migration basée sur le commerce.